mardi 20 octobre 2009

Et l'ICESI a quasi fait la Révolution (quasi)

Il y a quelques jours, grande émotion a l'ICESI: un pamphlet de protestation a fait le tour des boites mails des étudiants en Humanités (Sciences Politiques, Sociologie, Anthropologie, Psychologie) en soulevant l'écume. Qui n'a pas éclaboussé le reste des facultés: économistes, biologistes, médecins, eux n'ont rien vu, rien su. Mais je ne vous raconte pas le frisson parmi nous autres.





Beaucoup de bruit pour rien, si on me demande mon avis. Mais que je vous explique:


Cette année, l'université féte ses 30 ans. Et c'est la grande fiesta, on a célébré pendant toute une semaine. Le clou des réjouissances: le vendredi, Monsieur Alvaro Uribe, le controversé président, est venu inaugurer le nouveau batiment de la faculté de médecine (la peinture venait juste de sécher) et boire un petit coup avec la jetset de l'ICESI, derriere son mur de 500 militaires armés jusqu'aux dents.




Le jeudi, je bullais tranquillement dans les jardins ensoleillés en papotant avec les gens. (J'ai un trou de 5heures, c'est mon espace socialisation-colombianisation, comme les mardi, et les lundi aussi :D) Arrive Alejandra, l'air préoccupé.


- Tu as lu le mail anonyme qui nous est arrivé hier? le pamphlet?
- (moi, plissant le front sous l'effort) aaaaah oui oui, j'ai vaguement lu quelque chose qui protestait parce qu'on nous vire de l'Université demain, pour faire de la place a Uribe. Pourquoi?


- Felipe, Maria, Hassan et d'autres sont dans le bureau du directeur en ce moment. On va peut-être les virer de l'Université.

- (moi, dans la plus totale incompréhension) Meuh... pourquoi?
- Pour tentative de soulèvement des étudiants. Ils ne t'ont pas fait signer une protestation ce matin?


Arrive Marcela, toute excitée.


- Je reviens du Samán (ca c'est l'arbre qui est au centre de l'université, et le centre du papotage institutionnalisé.) Tout le monde est super inquiet, ils disent que demain des étudiants des autres universités vont débarquer ici et que tout le monde va protester en face des militaires contre la venue d'Uribe.


C'est la que j'ai commencé a m'inquiéter. Quand on dit "les autres universités", ca veut dire l'Uni Valle. L'Universidad del Valle est une bonne université publique, a 15 minutes de l'ICESI.


Et la-bas, c'est des fous.

Les étudiants sont toujours en train de manifester et de faire la greve pour quelque chose. Comme a Nanterre, oui. Sauf qu'ici, les étudiants jettent des pierres et des papas bombas (bombes pomme de terre, des petites bombes artisanales, mais qui explosent comme n'importe quelle bombe). Sauf qu'ici, on les mate en donnant l'assaut des forces militaires. Souvent, les militaires y vont à coup de crosse, y compris sur les filles. De temps en temps, des étudiants restent morts dans les mêlées. Une fois, (mais c'était il y a une dizaine d'années) les militaires ont forcé l'entrée de l'université pendant une manifestation, ont tapé sur tout ceux qu'ils trouvaient, ont traqué les gens dans l'université et à l'extérieur, en leur demandant de sortir leurs cartes d'étudiant, et ils en ont emmenés pas mal en voiture à l'extérieur de la ville. Il y en a qu'on a jamais revu.



La raison, c'est que des guerrilleros s'infiltrent dans l'université pour répandre leurs idées révolutionnaires. C'est la raison officielle, en tout cas. Ce qui est vrai, c'est que des tracts provenant de la guérilla sont lancés quelques fois dans l'université. Ce qui est faux, c'est que la guérilla ait aujourd'hui aucune sorte d'idéologie construite à répandre. Si à ses débuts elle a eu un discours communiste qui tenait à peu près debout, maintenant, c'est business as usual. Il n'y a plus rien qui soutienne leurs réclamations.





Pour en revenir à l'ICESI, l'idée de voir débarquer une manifestation menée par l'UniValle alors que les militaires étaient déjà groupés sur place, forcément, a provoqué un émoi.



On a passé l'après-midi à en parler, à essayer de savoir ce qui se passait vraiment dans ce bureau en haut, à faire des pronostics pour Felipe, Maria et Hassan. Mais plus on parlait, plus je me tranquillisait, parce qu'en réalité il n'y a jamais eu une once de début d'organisation pour manifester quoi que ce soit. Et en plus, on ne vire pas des étudiants d'une université pour avoir fait circuler une opinion politique, fût-ce dans un courrier anonyme appelant vaguement à l'action. Il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes.



Et vers 17h, Hassan nous a rejoints, tout guilleret: ils avaient juste passé l'après-midi à débattre de la venue d'Uribe. Pas l'ombre d'une menace de renvoi, bien sûr. On a continué à parler; le problème c'était qu'on mélangeait 2 choses.



D'abord, la protestation contre le fait qu'on nous virait de l'université pour la célébration des 30 ans de l'ICESI, parce qu'Uribe venait.

Ensuite, la protestation contre la venue d'Uribe, tout court.



De ces deux choses l'une:

Si on nous a interdit l'entrée à l'université, c'est pour des raisons de sécurité. Uribe est venu, donc, logiquement, sa clique de gros bras aussi. Ce n'est pas bien grave et ça se justifie.



Ensuite, est-ce que c'est bien qu'Uribe soit venu à l'Université? Parce qu'il ne s'agit pas de protester pour protester, juste parce que c'est Uribe. Cherchons les raisons.



Je crois que, à l'origine, ça se réduit à une question de sous. L'ICESI ne génère pas de profits. Ce sont des entrepreneurs privés qui l'entretiennent depuis 30 ans; c'est avec leur porte-monnaie qu'on a fait ce beau bâtiment pour la fac de médecine, avec le jardin de palmiers fleuri et la cafétéria qu'il y a devant. Alors pour les 30 ans, c'est normal qu'on les invite à inaugurer le bâtiment, histoire de leur montrer ce qu'on fait de leur sousous; et puis pour leur faire plaisir, on invite le président. Ca donne du cachet et tout le monde est content.



MAIS: on est en période de campagne électorale pour la présidentielle. Et ça, c'est important. Uribe a déjà fait deux mandats. Pourquoi est-il controversé? parce qu'il a des tendances belligérantes: il règle tout par la force. N'empêche qu'il a réussi à faire reculer la guerrilla et le narcotrafic et à tuer des leaders importants pendant les huit dernières années, comme personne ne l'avait fait.

Actuellement, la Constitution colombienne interdit à un président de se représenter trois fois de suite. Qu'à cela ne tienne: un référendum va bientôt être proposé aux Colombiens pour savoir s'ils veulent changer la Constitution, et lui permettre de faire 3 mandats. On va voir ce qu'il va sortir...



Toujours est-il que l'ICESI a bonne réputation régionalement. C'est une université privée, très coûteuse, qui forme la future élite dirigeante colombienne. La présence d'Uribe dans ses murs (même si on en a viré les étudiants) peut donner l'impression qu'il a l'appui de l'opinion universitaire ICESI, et ce n'est pas négligeable pour se ménager l'électorat dans le Valle del Cauca (la région dont Cali est la capitale).



Finalement, rien n'est sorti de toute cette agitation. On est tous rentrés sagement chez nous le jeudi soir et personne ne s'est bougé jusqu'à l'université pour jeter des brins d'herbe au nez des militaires.



Mais il y a quand même une bonne raison pour laquelle tout le monde s'est monté la tête: c'était la première fois en 30 ans qu'il y avait un débat et une protestation politique de la part des étudiants au sein de l'ICESI. Et ça me paraît un bon point qu'ils commencent à prendre position sur les sujets chauds en politique, dans le cocon molletonné et respectueux d'une université privée où les gens sont raisonnables.

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