mardi 6 octobre 2009

San Cipriano: le choc

Aujourd'hui c'est dimanche: c'est parti pour la promenade familiale dominicale (et en plus, je fais des rimes). A gauche, Juan (mon coloc') et Felipe (qui vit littéralement ici, même s'il a une maison à 10 minutes à pied). On pourrait croire que nos deux hommes nous attendent pendant qu'on se fait une beauté à rallonge enfermées dans la salle de bain, mais détrompez-vous. Ceci est l'attitude très reconnaissable du Colombien sur les startings-blocks, au moment de partir en excursion, que tout est prêt, et qu'on n'attend plus personne que lui; mais à son esprit tranquille et détendu ne vient même pas l'idée de sortir de la maison. Camille et moi, on en était à la phase où on les regarde fixement sans rien dire jusqu'à ce qu'ils se décident à bouger :)
La destination: San Cipriano. Notre ticket de bus, 4 personnes au nom de Camila y Compania (touche perso du gars-qui-vend-les-tickets).


Pour votre orientation. A gauche c'est l'océan Pacifique, en bas à droite Cali, et en haut San Cipriano, à la porte de Buenaventura (la ville tout au bout de la ligne rouge. On ne voit pas très bien mais c'est pour que vous ayez une idée). C'est à peu près 3H de bus, paysages magnifiques tout du long bien entendu, surtout de la montagne. Le trait violet, c'est nous ;)

Le bus nous a largués sur le bord de la route, près d'un chemin qui descendait qui descendait qui descendait dans une semi-jungle d'arbres bizarres et de plantes très vertes. On avait à peine mis un pied sur la route, que cinq grands Noirs baraqués nous sont arrivés dessus, nous ont entourés tous les quatre, et parlaient tous en même temps (mais surtout à Felipe, parce que Juan a l'air d'un Américain quand il marche à côté de nous. Ils lui disent Gringo à lui aussi).


Là, il faut que je fasse un aparté pour vous expliquer où on va. La côte Pacifique, c'est particulier. Ils sont TOUS noirs, descendants d'esclaves, il n'y a quasiment pas d'immigration noire en Colombie. Comme vous voyez (un peu) sur la carte, les routes ne fleurissent pas. Et encore, San Cipriano et Buenaventura appartiennent au Valle del Cauca, la région de Cali; un peu plus haut, c'est le Chocó. Le Chocó, c'est la jungle sauvage, aucune colonisation du territoire, pas d'infrastructures, juste des Noirs dans des cabanes de bois, qui vivent Dieu sait comment, et sont heureux comme ça. Et c'est bien là le problème: ils sont heureux, les bougres. Du coup, le Chocó est devenu l'un des majeurs problèmes économiques de la Colombie, parce qu'ils ne font rien là-bas, pas d'entreprises, pas de commerce, seulement de la musique. Et ça, je vais vous en reparler bientôt.
Pour revenir à notre comité d'accueil, ils étaient super sympas, une fois calmée la petite panique quand ils ont fondu sur nous. Ils ont surtout impressionné Camille, parce qu'ils la regardaient plus avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Amiguito nous a même emmenés à pied jusqu'au prochain village, d'où il faut partir pour atteindre San Cipriano.


Amiguito, c'est le diminutif de amigo, ami. Ici on appelle amigo quelqu'un qu'on ne connaît pas, et on le tutoie bien sûr. On l'appelle amiguito si c'est quelqu'un qu'on ne connaît pas et qu'il nous fait une faveur. Ca sonne un peu féminin de dire amiguito, ce sont surtout les femmes qui l'utilisent, mais je l'ai entendu dire à Juan et à Felipe.
Ici, c'est moi qui vais vous demander une faveur. Il faut que vous vous imaginiez le village, sans photos. Pourquoi? Pas que ce soit dangereux ici (en tout cas, certainement pas plus qu'à Cali). Simplement, c'est la première fois que j'ai senti ce qu'on veut dire par "dépaysement". On est arrivé dans ce village: deux rangées face à face de maisons de bois et de béton qui tiennent à peu près debout, de la boue, des palmiers, des moustiques, et des Noirs, tous dehors, qui vendent des chontaduros* et des déjeuners (typique: poulet, riz, salade, plátano = une grosse banane, pilé et frit, et des pois chiches). Mes trois compères sont allés s'asseoir sous un toit de tuiles, mais moi je voulais me promener. Je m'éloigne, je marche le long des maisons; je regarde; on me regarde; et tout d'un coup, le choc me tombe dessus: je me sens étrangère. Mais très étrangère, comme si je n'avais rien à faire ici, et je n'avais jamais rien vu comme ça. C'est là que je ferme les yeux, et j'espère très fort que quand je les ouvrirai, ma peau sera noire.
Ca n'a pas marché. Je suis revenue illico et j'ai demandé à Juan de venir avec moi. Il a peut-être l'air américain, n'empêche qu'il est Colombien et que je me sentais moins hors de ma place. Les gens vivent uniquement du tourisme, ici, et surtout de la brujita (je vous explique ça tout de suite): quand ils vous regardent, on voit s'aligner les chiffres parce qu'ils calculent combien de jours il vont manger avec ce que vous dépenserez.

*dé-li-cieux. Je retire toutes les horreurs que j'ai pu dire sur ces merveilles, c'est juste que je n'en avais jamais goûté de bon. Je crois même que je suis en train de développer une obsession... et ça ne fait rien, parce que ça se trouve à tous les coins de rue pour 1000 pesos!


Maintenant, laissez-moi vous présenter le moyen de transport local. En arrivant dans le village, vous aurez peut-être remarqué qu'il est construit le long d'une ancienne voie de chemin de fer. Et dessus, voilà la brujita. Impossible à traduire, c'est un mot de là-bas. Je vous explique le concept:
Vous fabriquez une plateforme avec des planches en bois. Dessus, vous fixez sommairement deux bancs en bois. Et sur un côté, vous attachez une moto: seule la roue arrière touche le rail, la roue avant est posée sur la plateforme. Ca y est! On empile les gens sur les bancs, on démarre la moto, et c'est parti. Sur la photo, Felipe et Camille, et dans le fond amiguito! Il nous a accompagnés sur la brujita. Le chemin qui s'ouvre. On va quitter le village, et traverser la quasi-jungle pour aller jusqu'à San






Cipriano. Une vidéo rapide, pour que vous vous fassiez une idée...Zzzzzzzou! Les cheveux dans le vent, photo prise à la va-vite. C'est Juan, dans le fond.
Et la promenade commence. On suit le fleuve, sur les rails. San Cipriano est à une petite demi-heure d'ici, prenez votre temps pour regarder.
On est à califourchon sur le banc, tous les uns derrière les autres, avec amiguito et le conducteur de la moto qui veillent au grain.
Ils sont deux, le conducteur et amiguito, et pour une raison bien simple.

La voilà: il n'y a qu'une voie. Mais de brujita, bien plus qu'une, ma mie. Ca se passe comme ça: dès qu'on voit se profiler au loin la silhouette d'une brujita concurrente, on ralentit à la seconde même. On se rapproche l'un de l'autre tout doucement, et on se regarde. On se jauge, en fait: lequel va devoir descendre et enlever la brujita des rails pour laisser passer l'autre?
Nos p'tites peaux blanches de touristes nous ont valu le privilège de passer en priorité plusieurs fois: la majorité des gens qui utilisent la brujita sont ceux d'ici, qui vont d'un village à l'autre. Mais à un moment, une brujita-camion de déménagement est arrivée: ils étaient tous entassés sur des meubles et des matelas. On est descendus, et amiguito et son pote conducteur ont enlevé la brujita. Et c'est pour ça qu'il faut toujours être deux, parce qu'on ne va pas laisser ces gens s'en occuper, ils pourraient nous la casser.


¡El paseo se acabó! (La promenade est terminée!) On est à San Cipriano, tout le monde descend. Pas de photos du village; réclamations/plaintes/souhaits: voyez au-dessus... Moi, je trouve ça vraiment difficile de sortir l'appareil et de shooter tout le monde au flash à tous les coins de bosquet de palmier; déjà on a des photos du paysage, c'est pas mal!

On risque un coup d'oeil entre les arbres? La végétation est très dense et très humide, et complètement désordonnée. D'un autre côté, tout le monde ne trouve pas de charmes à la géométrie de Le Nôtre.



N'oublions pas qu'ici, c'est le pays des papillons. Ils nous tournent autour sans arrêt... ILS BATIFOLENT! (mais, chuuuut!)


Ca fait beaucoup rire Felipe quand on se met de la crème. Mais pas d'illusions, vous n'y échappez pas non plus, parce que maintenant on descend dans les charcos (les lagunes) pour se baigner dans le fleuve!! Laquelle vous tente? Si celle-là ne vous plaît pas, on continue à marcher tout droit, il y en a tous les 100mètres. Je vais en éclaireur.

J'en ai trouvé une qui me fait les yeux doux: "En traversant le fleuve, vous aurez une aventure éprouvante" dit le panneau en bois déglingué sur la route... Tss- pas de discussions, je suis déjà en bas de toute façon. Vous me rejoignez, ou vous allez rester en haut??
Làà, ça valait le coup, regardez l'eau si cristalline. On voit le plus ptit poisson se faufiler entre les pierres.

Zou! à la flotte, pas de chichis. Mais attention en nous rejoignant... Regardez, là je suis debout et j'ai de l'eau jusqu'à la taille. Elle est fraîche, elle est douce, elle est transparente. Cependant, vaillants camarades, c'est pas si facile d'accéder aux délices de la lagune. Il va falloir, avant de vous y abandonner avec volupté, que vous passiez l'épreuve suprême: traverser le petit bras de fleuve qui vous arrive à peine aux chevilles. Ouioui, juste là.

Eh ben voilà, je vous avais prévenus. Comme terrain, c'est encore plus glissant que les déjeuners chez les beaux-parents. Vous pouvez essayer toutes les techniques, mais d'expérience, le mieux c'est encore d'avancer sur les fesses en vous aidant de vos quatre paturons.

Quelques fois, il faut sacrifier l'élégance sur l'autel périlleux des lagunes.
(J'ai la veine poétique aujourd'hui. Prenez note, je vous prie).

Houlà... C'est beau de patauger, les enfants, mais je crois que voilà notre "aventure éprouvante". On traverse?
...

...


Pffffffffffffff. Nous voilà de l'autre côté. Je vous passe les péripéties, d'ailleurs vous m'avez bien regardée assis tranquillement sur votre caillou. Je ressors de là en ayant appris quelque chose: l'espace d'un instant, en galérant dans le courant pour ne pas me laisser entraîner, j'ai entrevu ce que ça doit être quand on comprend qu'on va se noyer. J'avoue que j'ai failli paniquer, c'est crevant de lutter comme ça, même avec Juan pour me retenir (il avait des chaussures, lui.)
Et on continue. En paréo, il pleut un peu mais on est trempées de toute façon. Et avec cette chaleur, la pluie est délicieuse... Et vous savez ce qui est délicieux, aussi? L'arrechón, la crema de biche et le guarapo. On a rencontré amiguita, qui vendait les trois. Elle nous a fait un mélange des deux premiers: ce sont des liqueurs mélangées avec de la crème, un régal. Et le guarapo, c'est juste le jus qui sort de la canne à sucre, pur. Ca passe très bien aussi.

Nos deux hommes, dans un autre étang. Juan a de l'eau jusqu'à la taille là où il est, et de là où Felipe est, il peut plonger sans aucun problème. Et moi je suis sur un tas de cailloux au milieu de la lagune. Et je patauge.

16h: il faut penser à déjeuner. On cherche le prochain village: et voilà.
Doña Filo (cette aimable matrone, juste devant) avait exactement ce dont on a envie quand on est mouillés et qu'on a marché et nagé dans le courant: un sancocho. C'est une soupe, mais bien plus qu'une soupe. On peut la faire avec du poisson ou de la poule; on y met des pommes de terre, du manioc, du mais, des légumes verts, et du cilantro (c'est de la coriandre! je n'arrivais pas à retrouver l'épice en français. Maintenant vous savez de quoi la Colombie a goût).
Et dans la maison d'à côté, ils font la fête! Ils étaient tous à l'étage supérieur, ils jouent de la musique et ils dansent. J'avais envie de monter, mais j'ai pas osé. La musique était géniale; mais Camille n'a pas pris de film trop long non plus. Ca vous donne une idée...
Felipe aussi a l'âme artistique, de temps en temps.

En remontant le chemin, pour chercher un bus qui nous ramène à Cali. ¡El paseo se acabó!

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