jeudi 25 mars 2010

De la clarté, je vous en prie

Ajustons la focale. J'ai recu une pluie de mails me disant que j'allais me faire décapiter, arroser a l'huile bouillante, chatouiller la plante de pied au fer rouge, couper les ongles et autres; votre réaction massive et intense a été provoquée par les messages précédents.
Je voudrais que deux choses soient bien entendues: la premiere, ca me touche que vous vous inquiétiez pour moi. La deuxieme: la Colombie, c'est une démocratie. C'est pas tous les jours facile et il y a beaucoup de violations des droits de l'homme, je vous l'accorde; mais la liberté d'expression est respectée et on peut critiquer tout ce qu'on veut. Je vous dirais meme que de la vient le probleme: tout le monde critique, personne n'est content, on le braille haut et fort et il ne se passe rien. La preuve: ces élections de l'autre dimanche, qui ont été un fiasco total, le lamentable crash de toutes les belles espérances de la classe intellectuelle colombienne. Demain je vous explique ca en détail, con todos los juguetes, comme on dit ici (avec tout le tralala); la tout de suite je ne peux pas, parce que je m'en vais danser la salsa a Tin tin deo, le rendez-vous du jeudi de tous les salseros de Cali. C'est un petit bar au deuxieme étage avec au mur des photos des immenses chanteurs de salsa depuis qu'elle a éte inventée, et le jeudi c'est salsa toute la nuit avec un petit moment de musique du Pacifique pour se reposer l'ouie sur le coup de 11h30. Mais que cela ne nous détourne pas de l'objet de ce message: la Colombie, ce n'est pas la Corée du Nord, nom d'une pipe.

dimanche 14 mars 2010

Llegó la hora de la democracia

"L'heure de la démocratie est arrivée." Aujourd'hui, c'est jour d'élections en Colombie. On vote pour les candidats au Congrès, c'est-à-dire le Sénat et la Chambre des Représentants. Tout le monde sait que plus de la moitié des candidats ont financé leur campagne avec les sousous du narcotrafic, et une grande partie d'entre eux a des antécédents avec la justice, que ce soit pour contacts passés ou présents avec des narcos, avec la guerrilla, ou délinquance commune. Ce qui se fait pas mal aussi, ce sont les pressions sur les électeurs pour s'assurer leur vote. Le clientélisme est monnaie courante dans la politique au niveau local; Gio, qui est un type intelligent, étudiant de Sciences Politiques en projet de thèse et d'une critique constructive, me disait l'autre jour qu'il y a un candidat aux municipales de Palmira (sa ville) qui ne lui plaît pas du tout; mais il votera quand même pour lui, parce que eeh... tu sais... les réseaux.

Ca, c'est quand c'est encore joli. Sinon, on peut aussi exercer une pression de telle manière que les gens n'aient pas d'autre choix que de voter pour vous. Par exemple, s'infiltrer dans les programmes sociaux du type Acción Social, qui donne des bourses mensuelles aux mères de famille sans revenus. C'est facile: on retient leurs bourses jusqu'à ce qu'elles promettent de voter, et voilà. Quelques fois, ce genre d'action est dénoncé; mais c'est rare. Pourquoi se priver?

Tout le monde le sait, mais il ne se passe pas grand chose. C'est pour ça qu'il y a de grandes, très grandes attentes pour ces élections: l'élite d'opinion en Colombie attend une rénovation profonde des membres du Congrès. Et vous savez quoi? L'idéologie ou le programme desdits candidats ne sont pas si importants, dans le fond. Ce qui importe, c'est qu'ils soient clean sur le financement de leurs campagnes et qu'ils n'aient pas de mauvais antécédents. Autrement dit, c'est pas gagné.

On va aussi voter pour le Parlement Andin, même si en vrai personne ne le sait. Les gens vont se retrouver devant le bulletin électoral avec des petits numéros et des petits logos en couleur sans avoir la moindre idée de quoi il s'agit. Qu'à cela ne tienne, c'est comme ça depuis des décennies; on met n'importe quel numéro et on repart chez soi, pas content mais "qu'y va-t-on faire". Le Parlement Andin, c'est une pâle copie du Parlement Européen: même idée fondatrice, assurer l'intégration régionale des pays andins. En sont membres la Colombie, l'Equateur, la Bolivie et le Pérou; Chavez en a sorti le Venezuela il y a un bon moment déjà. Chaque pays a 5 représentants au Parlement, qui se réunit à Bogotá, en principe pour bosser sur des politiques d'intégration sur les thèmes de frontières, économiques, politiques et de tourisme. Le Parlement Andin devrait aider à passer au-dessus des préjudices qui existent entre les peuples (parce que franchement, ce sont tous des jumeaux dizygotes: il y a des petites différences mais de dos ou quand ils braillent, ça ne se remarque pas) et pouvoir avancer vers une intégration régionale qui unifierait les peuples andins.
Ca, c'est sur la papier. En vrai, le Parlement Andin ne fait quasiment rien, personne ne sait qu'il existe et ceux qui le savent sont en train de se demander s'il ne faudrait pas le supprimer pour dépenser l'argent qui passe dedans à quelque chose de plus utile. Ce qu'il faudrait, c'est que le Parlement Andin ait un pouvoir obligatoire sur les pays (là il peut juste faire des recommendations: "ce serait bien si vous faisiez ça, mais c'est comme vous voulez, hein...") Vous parlez d'une efficacité; mais un pouvoir comme ça, ça exige que les pays renonce à une partie de leur souveraineté, ce qui n'est pas gagné non plus. Et bien sûr, il faudrait que les gens se rendent compte qu'il y a un Parlement Andin et un projet d'intégration régionale.

Et puis finalement, on va voter pour élire le candidat à la présidentielle du 30 mai dans deux partis: les Verts et le Parti Conservateur. C'est très important aussi. Ici les partis sont extrêmement fragmentés; c'est-à-dire qu'il n'y a pas de direction effective depuis un centre, qui donne des indications de programmes et fournisse les ressources pour le financement des campagnes. Chacun entre dans le parti avec un minimum ridicule de prérequis, fait son programme à sa sauce et se débrouille pour trouver les sous, cf: ci-dessus si vous ne savez pas comment faire. Il n'y a pas de discipline parlementaire, et pas de projet leader au niveau nacional. Donc au moment de choisir un candidat unique par parti pour la présidentielle, c'est la lutte de coqs. Ils se tirent mutuellement des balles dans les jambes et personne n'est d'accord. Le vote populaire décide, bien sûr, et ça règle formellement la question; le problème, c'est que le candidat choisi ne dispose pas du soutien de tout son parti ni des électeurs de tout le parti.


Tout ça, ça génère de l'émotion, bien sûr. C'est un euphémisme: ici les élections sont traditionnellement des jours violents de lutte partisane et sociale. D'abord, les guerrillas (et surtout les FARC) font tout ce qu'elles peuvent pour saboter les élections: pressions violentes sur les électeurs pour qu'ils ne sortent pas de chez eux, attaques aux postes de vote, campagnes de terreur. Mais les gens eux-même ont l'habitude de transformer les élections en champ de bataille. Pour éviter la dégénération d'un processus aussi fondamental, l'Etat déploie ses forces dans tous les postes les plus chauds ou avec un passé électoral violent. Depuis vendredi 16 heures, il y a ley seca, la loi sèche: personne ne peut acheter d'alcool et toutes les discothèques sont fermées. (Bon, comme je me suis rendu compte vendredi soir à l'anniversaire de Cristhian, quelque fois la loi sèche est plutôt humide... mais ce n'est pas si facile.)On limite au maximum les risques d'éclatement d'un conflit violent pendant l'élection, en se basant sur des statistiques qui repèrent les zones les plus risquées. Cali était marquée en rouge foncé sur la carte des risques.

Il est 13h52 à ma montre: pour l'instant, c'est calme, la radio ne dit rien d'inquiétant, ni les journaux. Pourvu que ça dure, et que ces élections répondent à une partie des attentes qu'elles ont généré.